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Marot

Clément Marot
(1496-1544)

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Clément Marot
Epistre à son amy Lion

Je ne t'escry de l'amour vaine et folle :
Tu voys assez s'elle sert ou affolle ;
Je ne t'escry ne d'armes ne de guerre :
Tu voys qui peult bien ou mal y aequerre ;
Je ne t'escry de fortune puissante :
Tu voys assez s'elle est ferme ou glissante ;
Je ne t'escry d'abus trop abusant :
Tu en sçays prou et si n'en vas usant;
Je ne t'escry de Dieu ne sa puissance :
C'est à luy seul t'en donner cognoissance ;
Je ne t'escry des dames de Paris :
Tu en sçays plus que leurs propres maris ;
Je ne t'escry qui est rude ou affable,
Mais je te veulx dire une belle fable,
C'est assavoir, du Lion et du Rat.

Cestuy Lion, plus fort qu'un vieil verrat,
Veit une foys que le Rat ne sçavoit
Sortir d'un lieu, pour aultant qu'il avoit
Mangé le lard et la chair toute crue ;
Mais ce Lion (qui jamais ne fut grue)
Trouva moyen, et manière, et matière
D'ongles et dents, de rompre la ratière,
Dont maistre Rat eschappe vistement,
Puis meit à terre un genouil gentement,
Et, en ostant son bonnet de la teste,
A mercié mille foys la grand beste,
Jurant le Dieu des souris et des ratz
Qu'il luy rendroit. Maintenant tu voirras
Le bon du compte. Il advint d'aventure
Que le Lion pour chercher sa pasture
Saillit dehors sa caverne et son siège
Dont (par malheur) se trouva prins au piège.
Et fut lié contre un ferme posteau.

Adoncq le Rat, sans serpe ne cousteau,
Y arriva joyeux et esbaudy,
Et du Lion (pour vray) ne s'est gaudy,
Mais despita chatz, chates et chatons,
Et prisa fort ratz, rates et ratons,
Dont il avoit trouvé temps favorable
Pour secourir le Lion secourable,
Auquel a dict : « Tays-toy, Lion lyé,
Par moy seras maintenant deslyé :
Tu le vaulx bien, car le cueur joly as;
Bien y parut quand tu me deslyas.
Secouru m'as fort lionneusement;
Or secouru seras rateusement ».

Lors le Lion ses deux grandz yeulx vertit,
Et vers le Rat les tourna un petit
En luy disant : « paoure verminiere,
Tu n'as sur toy instrument ne manière,
Tu n'as cousteau, serpe ne serpillon,
Qui sceust coupper corde ne cordillon,
Pour me jecter de ceste etroicte voye.
Va te cacher, que le chat ne te voye.
— Sire Lion (dit le filz de souris),
De ton propos (certes) je me soubzris :
J'ay des cousteaulx assez, ne te soulcie,
De bel os blanc, plus trenchants qu'une scie ;
Leur gaine, c'est ma gencive et ma bouche ;
Bien coupperont la corde qui te touche
De si tres pres, car j'y mettray bon ordre. »

Lors sire Rat va commencer à mordre
Ce gros lien : vray est qu'il y songea
Assez long temps ; mais il le vous rongea
Souvent, et tant, qu'à la parfin tout rompt,
Et le Lion de s'en aller fut prompt,
Disant en soy : « Nul plaisir en effect
Ne se perd poinct quelcque part où soit faict.»
Voyla le compte en termes rithmassez :
Il est bien long, mais il est vieil assez,
Tesmoing Esope, et plus d'un million.

Or viens me veoir, pour faire le Lion,
Et je mettray peine, sens et estude
D'estre le Rat, exempt d'ingratitude,
J'entends, si Dieu te donne aultant d'affaire
Qu'au grand Lion, ce qu'il ne vueille faire.

Cette épître à son ami Lion fut envoyée à son ami Léon Jamet alors que Marot avait été emprisonné — selon ses dires — pour avoir mangé de la viande en période de carême. J'en ai maintenu l'orthographe originale, qu'un lecteur francophone averti reconstituera, peut-être avec quelque peine... Il est intéressant de comparer cette fable avec celle, plus concise, qu'a écrite La Fontaine.


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