François de Dardel
Update 5 Jul 2013
MICROPOLLUANTS

Deux articles parus dans le quotidien suisse romand "Le Temps"


Une taxe à plébisciter


On dénombre 60 tonnes de substances chimiques dans le lac Léman. Non filtrées par les stations d'épuration, des traces de ces substances se retrouvent dans l'eau potable

Une amie pédiatre m'a fait part il y a quelques mois d'une augmentation de cas de puberté précoce chez des enfants de 8 ans. Elle était incapable de m'en expliquer les causes.

Une écotoxicologue m'a rappelé que les cas d'infertilité étaient en forte croissance, tout comme certains cancers. Et parallèlement, j'apprends qu'on dénombre 60 tonnes de substances chimiques dans le lac Léman. Non filtrées par les stations d'épuration, des traces de ces substances se retrouvent dans l'eau potable. Le lien entre exposition environnementale et effet indésirable chez l'homme n'a pas encore été clairement établi. Par contre, on sait aujourd'hui que ces micropolluants ont des effets nuisibles sur certaines plantes et animaux aquatiques. Des insecticides endommagent, par exemple, le système nerveux de certains poissons tandis que des perturbateurs endocriniens entraînent une féminisation des mâles dans certains lacs aux Etats-Unis.

Il ne s'agit pas de tomber dans la terreur sensationnaliste d'un risque de santé publique majeur, mais de s'interroger sur le cap à suivre pour les prochaines décennies. Il existe des techniques capables de s'attaquer spécifiquement aux micropolluants. Elles ont été testées. Et leur efficacité a été prouvée, pourtant aucune station d'épuration (STEP) ne les a encore introduites.

La question du financement fait débat. Une modification de la loi fédérale sur la protection des eaux, soumise à consultation l'été dernier, prévoit que les principales stations d'épuration soient équipées de nouvelles installations. Montant de l'opération: 9 francs par an et par habitant raccordé à une STEP. Une somme dérisoire par rapport à ses bénéfices.

Alors certes, le problème n'aura pas été résolu à la source. Les ménages continueront de rejeter des produits de lavage, cosmétiques, solvants, vernis, produits d'entretien, médicaments ou certains pesticides. Dans l'immédiat, plutôt que d'interdire toute une liste de produits chimiques, filtrer efficacement les eaux usées se révèle une mesure beaucoup plus rapide et facile à mettre en place.

Ghislaine Bloch, Le Temps, 5 mai 2013



Les micropolluants suscitent la crainte


Une modification de la loi fédérale sur la protection des eaux devrait permettre aux stations d'épuration de mieux filtrer les substances chimiques. La question du financement fait débat. Le parlement doit se prononcer. Toutes les parties consultées admettent qu'il y a une menace et des risques liés aux micropolluants

Produits de lavage, cosmétiques, solvants, vernis, produits d'entretien, médicaments, pesticides constituent un cocktail de substances synthétiques diverses rejetées, via les eaux usées, dans les stations d'épuration (STEP). Celles-ci savent dégrader les matières organiques, les phosphates et l'azote mais elles n'ont pas été conçues pour éliminer suffisamment les pesticides, phtalates, filtres anti-UV, hormones et résidus de médicaments. En Europe, quelque 100 000 substances chimiques de synthèse sont autorisées et entrent dans la composition d'innombrables produits d'usage courant. Une fois dans l'environnement, celles-ci peuvent donner naissance en se dégradant à d'autres substances. Beaucoup d'entre elles se retrouvent dans les rivières, les lacs et les eaux souterraines – là d'où provient une grande partie de l'eau potable.

Quels sont les risques sur l'homme ainsi que sur l'environnement? Les bases scientifiques font souvent défaut pour apprécier les risques sanitaires et écotoxicologiques. On ignore les effets conjugués que peut avoir à long terme un tel cocktail de substances que ce soit sur les écosystèmes aquatiques ou sur les êtres humains.

Toutefois, on apprend dans un rapport de l'Office fédéral de l'environnement sur les micropolluants que ces substances chimiques ont des effets nuisibles sur les plantes et les animaux aquatiques, ainsi que sur la qualité des ressources en eau potable des lacs et des nappes souterraines. «Des perturbateurs endocriniens (tel l'éthinylestradiol, l'un des principes actifs de la pilule contraceptive) entraînent par exemple une féminisation des poissons mâles, les herbicides stoppent par exemple la photosynthèse des algues. Certains insecticides neurotoxiques endommagent le système nerveux d'animaux aquatiques», explique Michael Schärer, chargé des micropolluants à la section Qualité des eaux de surface à l'OFEV, cité dans le rapport «Micropolluants dans les eaux».

Les choses pourraient changer d'ici à 2015 si les STEP obtiennent des moyens supplémentaires pour traiter ces substances. Le Conseil fédéral doit soumettre le projet au parlement ces prochaines semaines.

Pour rappel des faits, une modification de la loi fédérale sur la protection des eaux a été soumise à consultation d'avril 2012 à août 2012. Pour diminuer de moitié les micropolluants provenant des eaux usées, les stations d'épuration avec plus de 80 000 habitants raccordés et une centaine d'autres sur les 700 existantes devront être équipées de nouvelles installations spécifiques.

L'investissement nécessaire représentera environ 1,2 milliard de francs, soit des coûts annuels évalués à 60 millions de francs sur vingt ans. La Confédération doit donc disposer chaque année de 45 millions de francs pour financer les 75% de ces coûts. Dans le message envoyé en consultation le 25 avril 2012, le Conseil fédéral proposait de créer un fonds spécial, à savoir une taxe maximale de 9 francs par an et par habitant raccordé à une STEP.

«Toutes les parties consultées admettent qu'il y a une menace et des risques avérés liés aux micropolluants, note Philippe Vioget, chef de la division de la qualité des eaux de surface et du contrôle des STEP du canton de Vaud. Par contre, la question du financement pose davantage de problèmes.»

Le groupe ERFA-CH, un club informel réunissant les dix plus grandes STEP de Suisse, conteste en effet cette taxe de 9 francs par habitant et par année. «Les STEP qui se seront déjà équipées devraient être exonérées d'une telle taxe pour éviter un surcoût», indique le service de presse des SIG qui estime à plusieurs dizaines de millions de francs la mise en place de nouveaux moyens pour traiter les micropolluants.

«Il est nécessaire d'agir vite pour lutter contre les micropolluants mais les grandes STEP qui auront fait un effort avant les autres devraient être exemptes de cette taxe. Elles n'ont pas à payer pour les autres», estime également Olivier Français, directeur des travaux de la Ville de Lausanne.

«Désormais, le projet de loi a été partiellement révisé en fonction de la consultation, explique Sébastien Lehmann, collaborateur scientifique à la division Eau de l'OFEV. Le Conseil fédéral doit encore approuver le projet final et le soumettra au parlement avant l'été probablement.»

Le problème des micropolluants concerne l'ensemble de la planète. La Suisse serait le premier pays à légiférer en la matière. En revanche, à défaut d'un cadre légal, d'autres pays ont déjà réalisé des investissements pour traiter les substances chimiques contenues dans les eaux. C'est le cas notamment de quelques STEP en Allemagne ainsi qu'en Autriche.

Ghislaine Bloch, Le Temps, 5 mai 2013